Certaines personnes âgées sont dans l’incapacité à s’accepter
« vieux » marquée par une dévalorisation des autres sujets âgés
résidant au sein de la résidence. Ils se distinguent d’elles par une
comparaison ascendante et par l’intériorisation d’une image négative du
vieillissement. Ils ressentent une forte réticence à aller vers les autres.
Certaines développent une perception négative de la vieillesse favorisée par
les stéréotypes intériorisés et véhiculés, provoquant de réelles difficultés à
s’identifier aux « vieux » et se reconnaître comme tel (Richard et
al, 2004).
Vivre en collectivité sous entend se mélanger à autrui, à la différence,
mais plus particulièrement se confronter à l’image de la dépendance, à la perte
d’autonomie et à la vieillesse. Certaines développent une réelle souffrance
psychique, au point de se réfugier dans leur espace intime, protecteur :
leur chambre. Elles évitent tout contact avec des personnes âgées dépendantes,
handicapées pour se protéger par peur de la contagion. Leur première réaction
est la peur « de finir leurs jours
dans cet état de dépendance », disent-elles.
Madame Bi, arrivée depuis peu au sein de la résidence, se présente
fortement anxieuse. L’entrée en maison de retraite a été un véritable choc pour
cette dame, qui s’attendait à un public âgé autonome. Madame Bi a très mal vécu
les premiers jours de son arrivée, confrontée à l’image de la dépendance. Elle
n’osait pas sortir de sa chambre, se repliait dans son espace. Elle avait peur
de la contagion et parlait « d’hospices
de luxe ». Cette constatation montre l’importance de préparer une
personne âgée quant à son entrée en institution pour éviter qu’il soit vécu
comme un traumatisme.
Le sentiment d’être vieux suscite l’idée que les changements sont
irréversibles, définitifs, obligeant les personnes âgées à s’accepter en tant
que tel et s’incliner devant l’avancée de la vieillesse. Vieillir, c’est se
transformer et par conséquent accepter ces changements : cela se traduit
par la reconstruction d’une continuité (Caradec 2004)
Ce sentiment d’être vieux s’accompagne d’une perception nouvelle du
temps, qui parait s’étirer, marquée par la lenteur des gestes et une fatigue
diffuse. En effet, l’entrée en institution rend visible l’écoulement du temps
et l’absence d’emprise de ces individus sur leur propre vieillissement (Mallon,
2007). La personne âgée peut développer une « conscience accrue de sa
finitude » (Marshall, 1986), c'est-à-dire une prise de conscience de la
mort qui approche, provoquant une réflexion et un retour sur sa vie passée.
Pour certaines d’entre elles « il
n’est plus temps désormais » de s’engager dans des activités, ils
prennent conscience de la fuite du temps.
Selon Erikson (1999), le sujet âgé, arrivé à son dernier stade de
développement, envisage l’éventualité de sa mort, ce qui suscite une évaluation
de sa vie. Il va rechercher un sentiment d’intégrité, au travers d’une
relecture de son passé, afin de donner un sens à sa propre existence. Il peut
éprouver du désespoir au travers de sentiments d’échecs, et la sensation de ne
plus avoir le temps de retrouver son intégrité.
Cette relecture du passé a été appelée par Butler (1963, cité par
Lavallée et Cappeliez, 1996) « révision de vie ». Elle reposerait sur
un processus mental d'adaptation caractérisé par le retour progressif à la
conscience des expériences de vie passées, particulièrement celles qui sont
associées à des conflits irrésolus. Le sujet âgé, en vieillissant et arrivant
au dernier stade de sa vie, développe naturellement des capacités narratives
avec le rappel de souvenirs autobiographiques, chargées d’émotions. Ce retour
sur les événements passés est provoqué par les nombreuses remises en question
actuelles effectuées par les personnes âgées (deuil, perte autonomie...)
puisant dans leurs ressources antérieures. Chacune de ces situations oblige
l'individu à s'arrêter et à reconsidérer les étapes précédentes de sa vie, au
regard de l'expérience acquise tout au long de la vie, ayant pour objectif la
consolidation de son identité (Gaucher, 1996) et la transmission de ses
expériences de vie (Cappeliez, Lavallée et O’Roucke, 2001). La révision de vie définie
comme processus d'adaptation peut se révéler pathologique. En effet, elle peut
s’exprimer par de légers regrets et une certaine nostalgie d’un temps passé,
jusqu’à une forme sévère se traduisant par un sentiment anxieux, de culpabilité
ou de désespoir. Dans les cas les plus pathologiques, le sujet âgé peut
développer une dépression grave, pouvant aller jusqu’au suicide. Par ailleurs,
cette révision de vie peut avoir un impact négatif pour la personne âgée qui se
fixe dans des comportements de rumination, sans pour autant avancer, et le
maintient dans des conflits non résolus et des deuils non élaborés. L’avenir
devient donc difficilement percevable et envisageable.
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